Etes-vous conscients de la magie d’un coup franc ou même d’un dégagement de gardien de but? Si votre réponse est non, jetez un œil à ce qui suit!
Le tir oblique à l’école
En physique, dans le secondaire, on apprend qu’un dégagement (ou tir oblique) conduit à une trajectoire parfaitement parabolique: ce n’est pas toujours vrai et c’est même souvent faux! Ce serait toujours vrai dans un monde sans atmosphère, mais dans la vie, le ballon est lancé à toute vitesse à travers un fluide: l’air, et il en subit les conséquences! L’air s’oppose au mouvement de la balle en exerçant sur cette dernière une force de résistance appelée force de trainée, nous la notons \(F_{D}\), avec D pour ‘drag’ en anglais.
Alors, comment savoir si le tir est parabolique ou pas? C’est assez simple, il suffit de comparer le poids de l’objet (m.g) à la force de trainée qu’il subit (\(F_{D}\)).
\( \\ \)
Si \(\large \frac{F_{D}}{m.g} < 1 \), on parlera de sports gravitaires et la trajectoire sera parabolique puisque la trainée a peu d'effet par rapport au poids. L'exemple le plus connu est celui du tir de pétanque.
\( \\ \)
Dans le cas contraire (\(\large \frac{F_{D}}{m.g} > 1 \)), l’influence de la trainée est prépondérante et on parlera de sport aérodynamique. On pourrait montrer que la plupart des sports à balle correspondent à ce cas de figure, et bien évidemment, le football en fait partie.
Précisons encore que, dans le cadre des sports aérodynamiques, l’influence de l’air est de deux types, puisqu’il peut générer:
– une force de trainée, notée \( F_{D} \), qui s’oppose à la vitesse de la balle et freine son mouvement.
– une force de portance, notée \(F_{L} \ (avec\ L\ pour\ « Lift »)\), qui agit transversalement par rapport à la vitesse de la balle et dévie son mouvement.
Selon l’importance relative d’une force par rapport à l’autre, la balle montrera des trajectoires différentes. Pour comparer l’intensité relative de ces deux forces, les physiciens utilisent un nombre sans dimension appelé le nombre de Reynolds (mis en évidence par l’Irlandais Osborne Reynolds en … 1883, ouch!). Il s’agit du rapport entre la force de trainée \( F_{D} \) et la force de portance \( F_{L} \):
\[ \frac{F_{D}}{F_{L}} = \frac{U.\rho.a}{\mu} \tag 1\\\]
où U représente la vitesse de la balle, a, son rayon, \(\rho\) la densité de l’air et \(\mu\) sa viscosité dynamique.
Dans le cas du football, la force de trainée est responsable d’une trajectoire parabolique tronquée dans les dégagements des gardiens; et d’une trajectoire déportée latéralement dans le cas des coups francs enrobés. Vous avez encore un peu de temps? Lisez ce qui suit!
Le tir sur un terrain de football
En réalité, plusieurs phénomènes extraordinaires que vous ne soupçonnez même pas, se produisent sur un terrain de football.
Pour comprendre ce qui suit, vous devez savoir que, propulser un ballon à grande vitesse vers l’avant, revient à considérer un ballon immobile placé dans une soufflerie qui pousse l’air vers l’arrière. C’est une question de référentiel, càd de l’endroit à partir duquel vous regardez la scène. Dans le premier cas, votre caméra (ou votre référentiel) est posée sur le sol, dans le second, elle est posée sur le ballon!
Donc, un ballon qui va vers la gauche dans l’air sera modélisé par la Fig.1:
Dégagement du gardien
Peut-être avez-vous déjà remarqué que le dégagement d’un ballon de foot en tir parabolique sur une grande distance n’est pas … parabolique? Regardez ceci:
Les images de la balle sont séparées de 33 millièmes de seconde et l’espacement entre deux plots jaunes au sol est de 10m. En observant cette figure, on voit que l’espace horizontal entre deux balles est beaucoup plus court sur la seconde partie, la vitesse de la balle est donc fortement réduite. Par ailleurs, on voit qu’une fois l’apex dépassé (le sommet de la courbe), la descente n’est pas symétrique à la montée, elle est beaucoup plus rapide. Pourquoi? Cela vient d’un phénomène appelé la crise de trainée.
La crise de trainée.
Alors que les phénomènes de viscosité sont négligeables pour la couche d’air autour de la balle, elle devient significative dans une fine couche d’épaisseur \(\delta\) et collée à la balle. Cette couche est appelée la couche limite. Dans le cas du football, elle est typiquement de l’ordre de 0,1 mm!
Cette toute petite couche a comme effet d’initier le décollement de la couche limite, et donc, de rompre la symétrie du flux, ce qui engendre une force de trainée. En effet, sans considérer cette couche limite, le flux est parfaitement symétrique entre la face avant et arrière de la balle, il n’y a donc pas de gradient de pression et donc, pas de force de trainée (Fig.3).
Par contre, cette petite couche limite a un effet grandissant avec la valeur du nombre de Reynolds (\({R_{e}}\)). Or, nous savons (1) que le nombre de Reynolds est proportionnel à la vitesse de la balle; et donc, à la vitesse de la couche limite, par rapport au fluide environnant.
Etudions l’évolution de l’allure du fluide en fonction du nombre de Reynolds (Source [2]).
1. A très faible vitesse, si \({R_{e}}\) < 1, le flux est dominé par les contraintes visqueuses et les lignes de courant sont symétriques de part et d'autre de la balle. Il n'y a pas de différence de pression entre les faces avant et arrière de la balle et donc, pas de force de trainée.
\( \\ \)
2. Si la vitesse augmente jusqu’à ce que \({R_{e}}\) = 1, les forces de trainées associées à une chute de pression de part et d’autre de la balle deviennent significatives.
\( \\ \)
3. Quand \({R_{e}}\) = 10, un anneau de vortex laminaire se forme en aval de la sphère. La pression à l’arrière de la balle devient plus faible qu’en face avant et une force de trainée orientée vers l’arrière apparait donc.
\( \\ \)
4. Si \({R_{e}}\) > 100, le vortex devient instable, ce qui provoque une variation de la pression au cours du temps et donc, des forces latérales sur la balle. Le vortex agit comme une hélice à l’arrière de la balle et provoque un mouvement en spirale.
\( \\ \)
5. Si \({R_{e}}\) > 1000, le flux dans le sillage devient de plus en plus complexe jusqu’à atteindre un état dit turbulent.
\( \\ \)
6. Plus \({R_{e}}\) augmente et plus le point de décrochage (repéré par les pointillés bleus) se déplace vers l’équateur de la balle. Dès lors, la pression dans le sillage diminue puisque sa surface augmente. La différence de pression entre la face avant et la face arrière augmente en conséquence. L’effet net est donc une force de trainée \( F_{D} \) qui augmente linéairement avec \({R_{e}}\).
\( \\ \)
7. Lorsque le point de séparation atteint l’équateur, la différence de pression entre l’avant et l’arrière du ballon est maximale, et donc, la force de trainée l’est également. On a atteint le nombre de Reynolds critique, noté \({R_{ec}}\).
\( \\ \)
8. Dès que \({R_{e}}\)>\({R_{ec}}\), on assiste à la crise de trainée. On voit tout à coup la trainée diminuer drastiquement, typiquement d’un facteur 3. A cet instant, la couche limite sur la face avant de la sphère devient turbulente (effet modélisé par une couche limite en pointillés). La couche limite consomme donc plus d’énergie qu’elle reprend au sillage. Dès lors, l’effet est un déplacement du point de décrochage vers l’arrière de la balle et donc, une diminution de la force de trainée. En effet, la surface du sillage diminue, la pression qui y règne augmente et la différence de pression entre la face avant et la face arrière diminue.
\( \\ \)
9. Si \({R_{e}}\) continue à augmenter, le point de décrochage se déplace de nouveau vers l’équateur et la force de trainée augmente à nouveau, bien que moins fortement. On le voit en comparant les valeurs du coefficient de trainée avant et après la crise de trainée (zone rose); la force de trainée étant directement proportionnelle à son coefficient (Fig.10).
Conséquences
Cette crise de trainée joue un rôle crucial dans les sports à balle. Tout ce qui précède concerne les balles lisses. La rugosité des balles favorise la formation d’une couche limite turbulente et donc, entraine la crise de trainée pour des vitesses inférieures à celles des balles lisses. Conséquence: la trainée est fortement réduite.
Les balles de football sont toujours construites avec des coutures alors qu’avec les progrès technologiques, on pourrait sans problème construire des balles parfaitement lisses! Mais la rugosité est évidemment recherchée!
Pour une balle lisse, la crise se produit pour \({R_{e}}={2.10^{5}}\)
Pour une balle de foot, la crise se produit pour \({R_{e}}={1.10^{5}}\)
Clichés réels obtenus en soufflerie!
La figure 12 montre des clichés réels (obtenus en soufflerie), de l’écoulement d’air autour de deux sphères lisses caractérisées par des coefficients de Reynolds différents. Le cliché de gauche est obtenu au coefficient critique \(R_{ec}=2.10^{5}\), tandis que celui de droite est supercritique, il correspond à un nombre de Reynolds \(R_{e}=4.10^{5} > R_{ec} \). On voit donc dans ce cliché l’évolution entre une couche limite laminaire (qui serait obtenue autour d’un ballon de foot lisse) et turbulente (qui est de fait obtenue autour d’un ballon à coutures).
Vivons la vie d’une balle au cours du dégagement d’un gardien de but!
Vu les caractéristiques de la balle de football (m=430g et a=11,3cm) et sa vitesse typique de dégagement (U0=32m/s), quand la balle quitte le pied du gardien, elle a un nombre de Reynolds \({R_{e}}={2,4.10^{5}}\). Le ballon est alors en régime supercritique (Flèche 1 Fig.13) et subit une force de trainée faible. Cette trainée, bien que faible, entraine une diminution de la vitesse de la balle et donc, de son nombre de Reynolds au cours du vol. Dès lors, peu après le sommet de la trajectoire, la balle va traverser la crise de trainée (mais vers la gauche sur le graphique cette fois, puisque \(R_{e}\) diminue) et le coefficient de trainée, ainsi que la force de trainée, augmentent subitement d’un facteur 3 (Flèche 2 Fig.13)! La balle perd beaucoup plus vite sa vitesse horizontale, ce qui limite fortement sa portée (la longueur totale du tir) et provoque l’asymétrie typique de la trajectoire observée sur la Figure 2!
Nous venons donc d’expliquer et de comprendre (j’espère!) le fabuleux destin d’une balle au cours d’un dégagement. C’est déjà pas mal pour aujourd’hui! Nous étudierons l’effet de spin (ou effet Magnus) au travers des tirs au but brossés dans un prochain article! Quoi qu’il en soit, si vous avez eu le courage de lire cet article jusqu’au bout, je suis certaine que vous verrez dorénavant un dégagement au foot avec plus de poésie!
Si cet article vous a plu, likez-le, merci!
See you soon!
\( \\ \)
Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande vivement le superbe travail de thèse de Baptiste Darbois Téléchargeable ici!
\( \\ \)
\( \\ \)
Bibliographie
[1] DARBOIS, Baptiste. Thèse de doctorat: « »Tartaglia, Zigzag & Flips » : les particules denses à haut Reynolds ». Paris: Université Paris 7. Disponible ici.
[2] Massachusetts Institute of Technology. Department of Mathematics. [en ligne]. (2013) Disponible ici.
(Consulté le 16/07/2018)
[3] Football – La science du coup-franc. Posté par Jérôme Malot le 15 avril 2015 sur www.blablasciences.com
[4] EL AKOURY, Rajaa. Thèse de doctorat: « Analyse physique des effets de rotation de paroi en écoulements transitionnels et modélisation d’écoulements turbulents autour de structures portantes ». Toulouse: Institut National Polytechnique de Toulouse. Disponible ici.