Archives de catégorie Pour le plaisir!

C’est quoi une éclipse de lune exactement?

Le 27 juillet dernier, certains d’entre vous ont eu la chance d’admirer une éclipse de Lune! La question est la suivante: « Pourquoi diable la Lune était-elle rouge alors qu’elle était précisément censée être dans l’ombre de la Terre? Elle devait être plongée dans le noir et donc invisible, non? »

Pour répondre à cette question, il nous faut, comme d’habitude, mettre l’une ou l’autre petite notion au point.

1. La couleur de la lumière émise par le soleil

Le soleil émet une couleur blanche constituée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel comme le montre la Fig.1.

decomposition de la lumiere blanche
Fig.1: Décomposition de la lumière blanche à travers un prisme

Dans cette image, on envoie une lumière blanche sur un prisme qui a la faculté de séparer la lumière en ses différentes composantes. On peut voir que, à la sortie du prisme, la direction de propagation de la lumière change en fonction de la couleur de la lumière (les rayons rouges ne suivent pas le même chemin que les rayons violets). Les physiciens disent que la lumière se réfracte en traversant le prisme. Retenons donc: réfraction = changement de direction! Par ailleurs, ces mêmes physiciens, repèrent les couleurs par leur longueur d’onde (notée \( \lambda \), lire « lambda »). Il s’agit simplement d’une valeur chiffrée qui permet de repérer une couleur parmi l’immensité de possibilités comprises entre le rouge et le violet. Le rouge possède la plus grande longueur d’onde et le violet, la plus petite.

2. Pourquoi la lune est-elle brillante?

En réalité, la Lune, c’est juste un morceau de caillou, vraisemblablement un morceau de la Terre qui, il y a longtemps, aurait été heurtée par un objet céleste qui en aurait décroché un morceau. Ce morceau s’est trouvé piégé dans l’attraction gravitationnelle de sa Terre-mère et s’est donc mis en orbite autour d’elle. Donc, la lune n’est pas lumineuse! Par contre, l’étoile la plus proche de nous (enfin, proche … à 150 millions de km tout de même), c’est le soleil et, ce soleil, éclaire plus ou moins fortement la lune qui réfléchit cette lumière comme un miroir. Cette lumière revient donc vers la Terre comme le montre la Fig.2. C’est pour cela que la lune nous parait lumineuse! Donc: la lune tourne autour de la Terre (en un peu moins de 28 jours: 27,32 exactement) et l’ensemble Terre-Lune tourne autour du soleil (en un peu plus d’un an: 365,26 jours exactement) qui joue le rôle de projecteur pour éclairer notre satellite!

lune eclairee par le soleil
Fig.2: Réflexion des rayons solaires sur la lune

3. Quand y a-t-il une éclipse de lune?

Quand la lune traverse l’ombre portée par le soleil à l’arrière de la Terre. Un petit schéma s’impose … plusieurs même!

Lorsqu’il y a alignement Soleil-Terre-Lune, on parle de zones d’ombre (UMBRA) et de pénombre (PENUMBRA) comme représenté sur la Fig.3. Comment comprendre cela?

Alignement Soleil-Terre-Lune au cours d'une eclipse
Fig.3: Zones d’ombre et de pénombre au cours d’un alignement Soleil-Terre-Lune

Le Soleil est une boule lumineuse qui envoie de la lumière dans toutes les directions. Considérons uniquement dans un premier temps, les rayons issus de la partie supérieure de notre étoile en direction de la Terre. La Fig.4 montre que ces rayons atteignent la zone de pénombre supérieure, mais ne peuvent éclairer, ni la zone d’ombre, ni la zone de pénombre inférieure.

rayons issus de la partie superieure du soleilFig.4: Zones éclairées par les rayons solaires issus de sa partie supérieure.

Regardons maintenant les rayons émis par la partie inférieure du Soleil en direction de la Terre. La Fig.5 montre que ces rayons atteignent la zone de pénombre inférieure, mais ne peuvent éclairer, ni la zone d’ombre, ni la zone de pénombre supérieure.

rayons issus de la partie inferieure du soleilFig.5: Zones éclairées par les rayons solaires issus de sa partie inférieure.

Superposons les deux figures, on voit aisément (Fig.6) que la zone d’ombre porte bien son nom puisqu’ aucun rayon du Soleil n’y parvient directement , et que les zones de pénombre (2 et 2′) ne reçoivent qu’une partie des rayons lumineux, ce qui explique que ces deux zones soient faiblement éclairées.

addition des rayons issus des parties sup et inf du soleilFig.6: Zones éclairées par les rayons solaires issus de ses parties inférieure et supérieure.

Et donc, si la Lune est dans la zone d’ombre, elle n’est absolument pas éclairée! Et pourquoi elle est sanguine alors?

4. Pourquoi voit-on une lune sanguine au cours d’une éclipse?

C’est lié à notre atmosphère, cette couche d’air de plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes! En tout début d’article, on a vu que la lumière blanche du soleil contient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Quand cette lumière atteint notre atmosphère, elle y subit deux phénomènes: la diffusion et la réfraction.

1. La diffusion

En rencontrant les molécules de notre atmosphère, la lumière subit une diffusion dite de Rayleigh (càd une dispersion de la lumière dans toutes les directions) qui est d’autant plus forte que la longueur d’onde est faible. Dès lors, c’est la lumière bleue-violette qui subit ce phénomène de la façon la plus forte (Fig.7).

diffusion de Rayleigh Fig.7: Diffusion de Rayleigh dans l’atmosphère.

Quand vous regardez le ciel, vous avez donc une lumière blanche dépouillée de sa composante bleue-violette qui vous parvient directement tandis que cette composante manquante éclaire indirectement le ciel qui vous parait donc bleu. (S’il y a des nuages, les particules rencontrées sont plus grosses, ce sont des gouttelettes d’eau, et c’est la diffusion de Mie qui intervient. Dans ce cas, toutes les longueurs d’onde sont diffusées et le nuage nous apparait blanc). Remarquez donc que le ciel n’est pas bleu, mais bien noir, c’est notre atmosphère qui colore le ciel de bleu … elle n’est pas belle notre planète?

2. La réfraction

Si vous avez bien suivi, vous comprenez donc que, plus la couche d’air traversée est grande et plus la lumière blanche perd ses composantes de petites longueurs d’onde pour virer au rouge (c’est d’ailleurs ce qui explique la teinte rouge qui colore le ciel au lever et au coucher du soleil … elle n’est pas belle notre planète? Oui je sais, je l’ai déjà dit…). Donc, en observant la Fig.8, on voit que la lumière qui traverse la basse atmosphère (au plus près du sol) est donc celle qui a perdu le plus de composantes de petites longueurs d’onde puisque l’épaisseur d’air traversée y est maximale. Cette lumière ressort donc de l’atmosphère en étant rouge car essentiellement constituée de grandes longueurs d’onde. Or, il se fait que, justement, ce sont les plus grandes longueurs d’onde qui sont fortement réfractées (ou déviées, vous vous souvenez?) quand elles changent de milieu, et donc cette lumière se courbe et atteint une zone qui lui serait autrement inaccessible … la Lune! La suite de l’histoire, vous la connaissez, la Lune réfléchit cette lumière rouge qui revient vers nos yeux et TADAM! La Lune nous parait rouge!

refraction de la lumiere dans l'atmosphereFig.8: Réfraction de la lumière solaire dans l’atmosphère.

Donc, la lumière rouge est doublement gagnante: premièrement, elle subit peu de diffusion et peut donc traverser de longues couches d’atmosphère et, deuxièmement, elle subit beaucoup de réfraction et peut donc incurver sa trajectoire au point d’aller voir ce qui se passe derrière la Terre!

Bon, là, on a déjà pigé l’essentiel, mais pour les plus téméraires, il reste un détail à ne pas négliger. C’est une histoire liée au plan de l’écliptique. Je promets, après ça, je clôture mon article!

5. Le plan de l’écliptique, c’est quoi ça?

Vous êtes toujours là? Bon, il se fait que la Lune tourne autour de la Terre dans un plan qui n’est pas le même que celui qu’emprunte la Terre autour du Soleil. Ces deux plans sont inclinés d’un peu plus de 5° l’un par rapport à l’autre (Fig.9). Vue depuis le Soleil (dans un repère héliocentrique), la trajectoire de la Terre autour du Soleil (tracée en blanc) s’appelle l’écliptique.

plan de l'ecliptiqueFig.9: Inclinaison de l’orbite de la Lune par rapport au plan de l’écliptique.

Remarquez également sur cette figure les deux points particuliers appelés ‘Noeuds’, qui sont définis par l’intersection entre l’orbite de la Lune (tracée en noir) et le plan de l’écliptique (horizontal sur cette figure). Les nœuds sont notés \(N_{1} \) et \(N_{2} \).

Regardons maintenant la Fig.10 dans laquelle les mouvements célestes sont considérés dans un repère géocentrique (càd centrés sur la Terre). On a représenté la voûte céleste en bleu et on peut donc tracer les trajectoires apparentes de la Lune et du Soleil sur cette voûte. On est bien d’accord que, depuis la Terre, on a l’impression que le Soleil décrit une courbe exactement comme la Lune, toutes deux sur la voûte céleste. En réalité, c’est juste une impression, la Lune et le Soleil ne suivent évidemment pas des trajectoires de même rayon et le Soleil ne tourne pas pour de vrai autour de la Terre.

zone d eclipse possibleFig.10: Zone d’éclipse possible.

Une éclipse est possible lorsque le soleil, la Lune et la Terre sont alignés, et cela n’est possible qu’au voisinage des nœuds. En période d’alignement, au moment de la pleine Lune (la lune est au voisinage de \(N_{1} \)), une éclipse de Lune est possible puisque la Terre se trouve entre le Soleil et la Lune. Le Soleil projette alors l’ombre de la Terre sur la Lune (en vert sur la Fig.10). A contrario, s’il y a alignement au moment de la nouvelle Lune (la lune est au voisinage de \(N_{2} \)), alors la Lune se trouve entre le Soleil et la Terre (Fig.11). Le Soleil projette donc l’ombre de la Lune sur la Terre (ou la Lune obscurcit le soleil regardé depuis la Terre). Il s’agit alors d’une éclipse du Soleil, mais c’est une autre histoire.

eclipse du soleil Fig.11: Eclipse du Soleil.

Revenons aux éclipses de Lune, il existe toute une série de configurations possibles dans lesquelles les 3 astres ne sont pas alignés à cause de l’inclinaison de la trajectoire de la Lune par rapport au plan de l’écliptique. Dans ce cas, soit l’ombre de la Terre est projetée en-dessous de la Lune (Fig. 12 (a)), soit au-dessus de la Lune (Fig. 12 (b)).

eclipse impossibleFig.12: Zones d’éclipses impossibles.

Ceci explique pourquoi il n’y a qu’une ou deux éclipses de Lune par an, alors que si la Lune appartenait au plan de l’écliptique, il y en aurait à chaque fois que la Lune passe derrière la Terre en s’alignant avec le Soleil!

Si vous voulez en savoir plus sur ce phénomène, il existe une multitude d’articles sur le Net dont une sélection est reprise dans la bibliographie. See you soon!

Bibliographie

[1] Les éclipses sur Futura-Sciences, disponible ici: Les éclipses [2] Le manuel des éclipses. EDP Sciences, 2005. Les éclipses de lune [4] Eclipse lunaire sur Wikipédia. Eclipse lunaire

Le tir au but brossé ou l’effet Magnus!

Hello tout le monde,

Si vous avez lu mon post précédent (Revoir ici), la crise de trainée n’a plus de secret pour vous. Allons un pas plus loin! Avez-vous déjà entendu parler de l’effet Magnus ou du spin d’un ballon? C’est lui qui est responsable de la trajectoire complètement improbable que prennent les ballons de foot quand un bon (un très bon) joueur tire un coup franc brossé! Vous êtes toujours motivé? Alors, c’est parti!

L’effet de spin et l’effet Magnus

Le spin d’une balle, c’est son mouvement de rotation sur elle-même. L’effet Magnus, c’est la tendance de cette balle à être déviée latéralement dans une direction perpendiculaire à son axe de rotation (souvent vertical) et à sa vitesse (plus ou moins horizontale).

Une fois de plus, j’ai besoin de définir l’une ou l’autre petite notion pour comprendre la suite.

La vitesse de rotation d’une balle \( \vec{\omega} \)

Vous êtes tous conscients de la vitesse tangentielle d’une balle. Notée \( \vec{v} \) en physique, c’est elle qui permet au ballon d’avancer plus ou moins vite. Dans certains cas, quand le joueur brosse sa balle, il lui communique une vitesse supplémentaire, dite de rotation. Notée \( \overrightarrow{\omega}\), elle donne au ballon un mouvement de rotation sur lui-même. Elle est caractérisée par une valeur, mais également par un axe de rotation. Le joueur qui brosse la balle sur le côté; lui communique une vitesse de rotation avec un axe vertical. Dans ce cas, en plus de la trainée qui a été étudiée dans le post précédent, apparait une nouvelle force dite de « Lift » ou de « portance ». Elle sera notée \(F_{L} \).

Comportement du fluide en fonction de la vitesse relative fluide/balle

Afin de comprendre l’origine de la portance, il nous faut une fois de plus, étudier l’écoulement de l’air autour de la balle.

La Fig.1 rappelle ce qu’est le point de décollement tandis que la Fig.2 montre l’évolution de ce point et donc de la surface du sillage en fonction de la vitesse du fluide par rapport à la balle.

point de decollement du sillage
Fig.1: Point de décollement de la couche limite

\( \)

evolution de la trainee en fonction de la vitesse du fluide
Fig.2: Evolution du comportement du fluide en fonction de la vitesse. La vitesse augmente de la gauche vers la droite

En dehors de la crise de trainée, plus la vitesse du fluide autour de la balle augmente et plus le point de décollement du sillage est proche de l’équateur.

Les fronts avançant et s’éloignant d’une balle en rotation

Ayant ceci en tête, observons maintenant la vitesse du fluide par rapport à la balle et donc à la couche limite. La couche limite tourne avec la balle à une vitesse \( \vec{\omega} \) (représentée par des flèches bleues) puisque cette couche est immobile par rapport à la balle. Ajoutons une précision de vocabulaire à l’aide de la Fig.3. Pour une balle qui monte sur l’écran (càd un fluide environnant qui descend), et pour un tir brossé sur le côté droit de la balle, on parlera de front avançant pour le côté de la balle qui tourne dans le sens du mouvement, on le notera (A). Le front s’éloignant quant à lui, sera celui qui tourne dans le sens opposé au mouvement, on le notera (E).

fronts avancant et s eloignant
Fig.3: Notion de fronts avançant et s’éloignant

Le fluide environnant est représenté en noir tandis que la couche limite est dessinée en bleu. Etant donné que le sens de la vitesse de rotation de la couche limite est opposé au sens de la vitesse d’écoulement du fluide environnant sur le front avançant, c’est de ce côté que la vitesse relative du fluide par rapport à la balle sera la plus grande. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à deux voitures s’éloignant l’une de l’autre à une vitesse de 20 m/s. En une seconde, chacune d’entre elles a parcouru une distance de 20m; la distance totale qui les sépare est donc de 40m. Dès lors, si on place notre référentiel (notre caméra) dans une des deux voitures, notre vitesse relative (par rapport à l’autre voiture) est de 40 m/s. En effet, chaque seconde, on voit l’autre voiture s’éloigner de nous de 40m. Si les deux voitures roulaient à la suite l’une de l’autre (les deux vitesses auraient le même sens), chacune à une vitesse de 20 m/s, la vitesse relative d’une voiture par rapport à l’autre serait nulle, puisque la distance entre les deux voitures ne change pas. Tout se passe comme si aucune des deux voitures ne bougeait.

Donc: – si les deux vitesses sont de sens opposés, la vitesse relative vaut la somme des deux vitesses.

– si les deux vitesses sont de même sens, la vitesse relative vaut la différence des deux vitesses.

La Fig.3 montre donc bien une vitesse relative du fluide par rapport à la balle plus grande du côté du front avançant.

Décalage du sillage ou effet Robins-Magnus

Dès lors, que la balle soit en mode sous-critique \( ( {R_{e}} < {R_{ec}} ) \) ou super-critique \( ({R_{e}} > {R_{ec}} ) \); d’après la Fig.2, la vitesse du front avançant étant plus grande que celle du front s’éloignant, le point de décollement du front avançant est plus proche de l’équateur que celui du front s’éloignant comme le modélise la Fig. 4.

décalage du silage dans un effet Magnus direct
Fig.4: Ecoulement de l’air autour d’une balle subissant un effet Robins-Magnus direct

Plus beau encore, cet effet observé grandeur nature en soufflerie sur une sphère lisse et sur une balle de golf (Fig.5).

effet Magnus direct
Fig.5: Visualisation de l’écoulement autour d’une sphère et d’une balle de golf en rotation. Les balles tournent dans le sens des aiguilles d’une montre avec une vitesse périphérique plus grande que de la vitesse de l’écoulement. Ces clichés sont issus du livre [1]

Cette différence de point de séparation entre la gauche et la droite de la sphère dans la Fig.4 (ou entre le haut et le bas dans la Fig.5) provoque la déviation de son sillage. Cette déviation vers la droite (ou vers le bas) implique en réaction une force du fluide sur la sphère dirigée vers la gauche (ou vers le haut), c’est la fameuse portance. L’existence de cette force transverse est uniquement due à la rotation de la sphère et la présence d’irrégularités ne dérange nullement ce phénomène comme nous le prouve le cliché obtenu sur la balle de golf. Cet effet (appelé Robins-Magnus) existe pour tous les sports à balle. C’est lui qui est responsable du plongeon de la balle après le filet dans le cas d’une frappe « liftée » au tennis. C’est encore lui qui ramène la balle dans les cages en cas de coup-franc enroulé au football!

Maintenant que vous êtes conscients de la magie des écoulements d’air autour des balles, je suis convaincue que vous regarderez les sports à balle avec plus d’admiration encore! \( \) Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande vivement le superbe travail de thèse de Baptiste Darbois Téléchargeable ici! \( \) \( \)

Bibliographie

[1] FNM Brown. See the wind blow. University of Notre Dame, 1971. En partie disponible Les particules denses à haut Reynolds. [3] Massachusetts Institute of Technology. Department of Mathematics. [en ligne]. (2013) Disponible ici MIT. (Consulté le 16/07/2018) [4] Football – La science du coup-franc. Posté par Jérôme Malot le 15 avril 2015 sur www.blablasciences.com [5] EL AKOURY, Rajaa. Thèse de doctorat: « Analyse physique des effets de rotation de paroi en écoulements transitionnels et modélisation d’écoulements turbulents autour de structures portantes ». Toulouse: Institut National Polytechnique de Toulouse. Disponible ici.

Tout savoir sur l’étrange comportement de l’air autour d’un ballon de foot!

Etes-vous conscients de la magie d’un coup franc ou même d’un dégagement de gardien de but? Si votre réponse est non, jetez un œil à ce qui suit!

Le tir oblique à l’école

En physique, dans le secondaire, on apprend qu’un dégagement (ou tir oblique) conduit à une trajectoire parfaitement parabolique: ce n’est pas toujours vrai et c’est même souvent faux! Ce serait toujours vrai dans un monde sans atmosphère, mais dans la vie, le ballon est lancé à toute vitesse à travers un fluide: l’air, et il en subit les conséquences! L’air s’oppose au mouvement de la balle en exerçant sur cette dernière une force de résistance appelée force de trainée, nous la notons \(F_{D}\), avec D pour ‘drag’ en anglais. Alors, comment savoir si le tir est parabolique ou pas? C’est assez simple, il suffit de comparer le poids de l’objet (m.g) à la force de trainée qu’il subit (\(F_{D}\)). \( \) Si \(\large \frac{F_{D}}{m.g} < 1 \), on parlera de sports gravitaires et la trajectoire sera parabolique puisque la trainée a peu d'effet par rapport au poids. L'exemple le plus connu est celui du tir de pétanque. \( \) Dans le cas contraire (\(\large \frac{F_{D}}{m.g} > 1 \)), l’influence de la trainée est prépondérante et on parlera de sport aérodynamique. On pourrait montrer que la plupart des sports à balle correspondent à ce cas de figure, et bien évidemment, le football en fait partie.

Précisons encore que, dans le cadre des sports aérodynamiques, l’influence de l’air est de deux types, puisqu’il peut générer:

– une force de trainée, notée \( F_{D} \), qui s’oppose à la vitesse de la balle et freine son mouvement. – une force de portance, notée \(F_{L} \ (avec\ L\ pour\ « Lift »)\), qui agit transversalement par rapport à la vitesse de la balle et dévie son mouvement.

Selon l’importance relative d’une force par rapport à l’autre, la balle montrera des trajectoires différentes. Pour comparer l’intensité relative de ces deux forces, les physiciens utilisent un nombre sans dimension appelé le nombre de Reynolds (mis en évidence par l’Irlandais Osborne Reynolds en … 1883, ouch!). Il s’agit du rapport entre la force de trainée \( F_{D} \) et la force de portance \( F_{L} \):

\[ \frac{F_{D}}{F_{L}} =  \frac{U.\rho.a}{\mu} \tag 1 \]

où U représente la vitesse de la balle, a, son rayon, \(\rho\) la densité de l’air et \(\mu\) sa viscosité dynamique.

Dans le cas du football, la force de trainée est responsable d’une trajectoire parabolique tronquée dans les dégagements des gardiens; et d’une trajectoire déportée latéralement dans le cas des coups francs enrobés. Vous avez encore un peu de temps? Lisez ce qui suit!

 

Le tir sur un terrain de football

En réalité, plusieurs phénomènes extraordinaires que vous ne soupçonnez même pas, se produisent sur un terrain de football.

Pour comprendre ce qui suit, vous devez savoir que, propulser un ballon à grande vitesse vers l’avant, revient à considérer un ballon immobile placé dans une soufflerie qui pousse l’air vers l’arrière. C’est une question de référentiel, càd de l’endroit à partir duquel vous regardez la scène. Dans le premier cas, votre caméra (ou votre référentiel) est posée sur le sol, dans le second, elle est posée sur le ballon! Donc, un ballon qui va vers la gauche dans l’air sera modélisé par la Fig.1:

Ballon dans un flux laminaire
Fig.1: Lignes de courant autour d’un objet évoluant vers la gauche

Dégagement du gardien

Peut-être avez-vous déjà remarqué que le dégagement d’un ballon de foot en tir parabolique sur une grande distance n’est pas … parabolique? Regardez ceci:

Degagement football
Fig.2: Chronophotographie d’un dégagement de gardien. Source [1]

Les images de la balle sont séparées de 33 millièmes de seconde et l’espacement entre deux plots jaunes au sol est de 10m. En observant cette figure, on voit que l’espace horizontal entre deux balles est beaucoup plus court sur la seconde partie, la vitesse de la balle est donc fortement réduite. Par ailleurs, on voit qu’une fois l’apex dépassé (le sommet de la courbe), la descente n’est pas symétrique à la montée, elle est beaucoup plus rapide. Pourquoi? Cela vient d’un phénomène appelé la crise de trainée.

La crise de trainée.

Alors que les phénomènes de viscosité sont négligeables pour la couche d’air autour de la balle, elle devient significative dans une fine couche d’épaisseur \(\delta\) et collée à la balle. Cette couche est appelée la couche limite. Dans le cas du football, elle est typiquement de l’ordre de 0,1 mm!

Cette toute petite couche a comme effet d’initier le décollement de la couche limite, et donc, de rompre la symétrie du flux, ce qui engendre une force de trainée. En effet, sans considérer cette couche limite, le flux est parfaitement symétrique entre la face avant et arrière de la balle, il n’y a donc pas de gradient de pression et donc, pas de force de trainée (Fig.3).

symetrie du flux
Fig.3: Symétrie des lignes de courant dans le fluide entourant la balle

Par contre, cette petite couche limite a un effet grandissant avec la valeur du nombre de Reynolds (\({R_{e}}\)). Or, nous savons (1) que le nombre de Reynolds est proportionnel à la vitesse de la balle; et donc, à la vitesse de la couche limite, par rapport au fluide environnant.

  Etudions l’évolution de l’allure du fluide en fonction du nombre de Reynolds (Source [2]).

1. A très faible vitesse, si \({R_{e}}\) < 1, le flux est dominé par les contraintes visqueuses et les lignes de courant sont symétriques de part et d'autre de la balle. Il n'y a pas de différence de pression entre les faces avant et arrière de la balle et donc, pas de force de trainée.

symetrie du flux
Fig.4: Symétrie des lignes de courant du fluide à faible vitesse

\( \) 2. Si la vitesse augmente jusqu’à ce que \({R_{e}}\) = 1, les forces de trainées associées à une chute de pression de part et d’autre de la balle deviennent significatives. \( \) 3. Quand \({R_{e}}\) = 10, un anneau de vortex laminaire se forme en aval de la sphère. La pression à l’arrière de la balle devient plus faible qu’en face avant et une force de trainée orientée vers l’arrière apparait donc.

flux Reynolds superieur a 10, vortex
Fig.5: Cassure de la symétrie des lignes de courant du fluide pour Re=10

\( \) 4. Si \({R_{e}}\) > 100, le vortex devient instable, ce qui provoque une variation de la pression au cours du temps et donc, des forces latérales sur la balle. Le vortex agit comme une hélice à l’arrière de la balle et provoque un mouvement en spirale.

flux avec reynolds supérieur à 100 et inférieur à 1000
Fig.6: Vortex instable engendrant des forces latérales pour Re>100

\( \) 5. Si \({R_{e}}\) > 1000, le flux dans le sillage devient de plus en plus complexe jusqu’à atteindre un état dit turbulent.

ballon avec flux Reynolds supérieur à 1000
Fig.7: Le sillage devient turbulent pour Re>1000

\( \) 6. Plus \({R_{e}}\) augmente et plus le point de décrochage (repéré par les pointillés bleus) se déplace vers l’équateur de la balle. Dès lors, la pression dans le sillage diminue puisque sa surface augmente. La différence de pression entre la face avant et la face arrière augmente en conséquence. L’effet net est donc une force de trainée \( F_{D} \) qui augmente linéairement avec \({R_{e}}\). \( \) 7. Lorsque le point de séparation atteint l’équateur, la différence de pression entre l’avant et l’arrière du ballon est maximale, et donc, la force de trainée l’est également. On a atteint le nombre de Reynolds critique, noté \({R_{ec}}\).

ballon flux Reynolds critique
Fig.8: Gradient de pression et donc force de trainée maximaux pour Re=Rec

\( \) 8. Dès que \({R_{e}}\)>\({R_{ec}}\), on assiste à la crise de trainée. On voit tout à coup la trainée diminuer drastiquement, typiquement d’un facteur 3. A cet instant, la couche limite sur la face avant de la sphère devient turbulente (effet modélisé par une couche limite en pointillés). La couche limite consomme donc plus d’énergie qu’elle reprend au sillage. Dès lors, l’effet est un déplacement du point de décrochage vers l’arrière de la balle et donc, une diminution de la force de trainée. En effet, la surface du sillage diminue, la pression qui y règne augmente et la différence de pression entre la face avant et la face arrière diminue.

ballon dans un flux avec nombre de reynolds critique
Fig.9: Crise de trainée: la couche limite devient turbulente et le sillage est réduit d’un facteur 3

\( \) 9. Si \({R_{e}}\) continue à augmenter, le point de décrochage se déplace de nouveau vers l’équateur et la force de trainée augmente à nouveau, bien que moins fortement. On le voit en comparant les valeurs du coefficient de trainée avant et après la crise de trainée (zone rose); la force de trainée étant directement proportionnelle à son coefficient (Fig.10).

evolution du coefficient de trainee en fonction du nombre de reynolds
Fig.10: Graphique de l’évolution du coefficient de trainée en fonction du nombre de Reynolds pour une sphère lisse. Source [1].

Conséquences

Cette crise de trainée joue un rôle crucial dans les sports à balle. Tout ce qui précède concerne les balles lisses. La rugosité des balles favorise la formation d’une couche limite turbulente et donc, entraine la crise de trainée pour des vitesses inférieures à celles des balles lisses. Conséquence: la trainée est fortement réduite. Les balles de football sont toujours construites avec des coutures alors qu’avec les progrès technologiques, on pourrait sans problème construire des balles parfaitement lisses! Mais la rugosité est évidemment recherchée! Pour une balle lisse, la crise se produit pour \({R_{e}}={2.10^{5}}\) Pour une balle de foot, la crise se produit pour \({R_{e}}={1.10^{5}}\)

evolution du flux en fn du nombre de reynolds
Fig.11: Résumé de l’évolution du sillage avec l’augmentation du nombre de Reynolds

Clichés réels obtenus en soufflerie!

La figure 12 montre des clichés réels (obtenus en soufflerie), de l’écoulement d’air autour de deux sphères lisses caractérisées par des coefficients de Reynolds différents. Le cliché de gauche est obtenu au coefficient critique \(R_{ec}=2.10^{5}\), tandis que celui de droite est supercritique, il correspond à un nombre de Reynolds \(R_{e}=4.10^{5} > R_{ec} \). On voit donc dans ce cliché l’évolution entre une couche limite laminaire (qui serait obtenue autour d’un ballon de foot lisse) et turbulente (qui est de fait obtenue autour d’un ballon à coutures).

Ecoulement d'air autour de sphères en soufflerie
Fig.12: Transition entre une couche limite laminaire (à gauche) et turbulente (à droite). Source [1]

Vivons la vie d’une balle au cours du dégagement d’un gardien de but!

Vu les caractéristiques de la balle de football (m=430g et a=11,3cm) et sa vitesse typique de dégagement (U0=32m/s), quand la balle quitte le pied du gardien, elle a un nombre de Reynolds \({R_{e}}={2,4.10^{5}}\). Le ballon est alors en régime supercritique (Flèche 1 Fig.13) et subit une force de trainée faible. Cette trainée, bien que faible, entraine une diminution de la vitesse de la balle et donc, de son nombre de Reynolds au cours du vol. Dès lors, peu après le sommet de la trajectoire, la balle va traverser la crise de trainée (mais vers la gauche sur le graphique cette fois, puisque \(R_{e}\) diminue) et le coefficient de trainée, ainsi que la force de trainée, augmentent subitement d’un facteur 3 (Flèche 2 Fig.13)! La balle perd beaucoup plus vite sa vitesse horizontale, ce qui limite fortement sa portée (la longueur totale du tir) et provoque l’asymétrie typique de la trajectoire observée sur la Figure 2!

Evolution du nombre de reynolds Re au cours du tir
Fig.13: Évolution du nombre de Reynolds au cours du vol du ballon

Nous venons donc d’expliquer et de comprendre (j’espère!) le fabuleux destin d’une balle au cours d’un dégagement. C’est déjà pas mal pour aujourd’hui! Nous étudierons l’effet de spin (ou effet Magnus) au travers des tirs au but brossés dans un prochain article! Quoi qu’il en soit, si vous avez eu le courage de lire cet article jusqu’au bout, je suis certaine que vous verrez dorénavant un dégagement au foot avec plus de poésie!

Si cet article vous a plu, likez-le, merci!

See you soon!  

\( \) Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande vivement le superbe travail de thèse de Baptiste Darbois Téléchargeable ici! \( \) \( \)

Bibliographie

[1] DARBOIS, Baptiste. Thèse de doctorat: «  »Tartaglia, Zigzag & Flips » : les particules denses à haut Reynolds ». Paris: Université Paris 7. Disponible ici. [2] Massachusetts Institute of Technology. Department of Mathematics. [en ligne]. (2013) Disponible ici. (Consulté le 16/07/2018) [3] Football – La science du coup-franc. Posté par Jérôme Malot le 15 avril 2015 sur www.blablasciences.com [4] EL AKOURY, Rajaa. Thèse de doctorat: « Analyse physique des effets de rotation de paroi en écoulements transitionnels et modélisation d’écoulements turbulents autour de structures portantes ». Toulouse: Institut National Polytechnique de Toulouse. Disponible ici.